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10 mars 2015 2 10 /03 /mars /2015 17:33

La vie quotidienne dans un château fort du Moyen Âge tardif

Les châteaux forts du Moyen Âge tardif étaient tout sauf un lieu idyllique et serein ; la vie y était rude et bruyante. Généralement, ils n’abritaient qu’« une poignée d’habitants, une poignée de serviteurs, un petit nombre de chevaux et d’ânes, de chats, de chiens, de poules, de moutons, de chèvres et de cochons, tous parqués dans un espace très étriqué. » Boris Bigott et W. Wagner décrivent la vie quotidienne dans les châteaux dans le Sud de l'Allemagne.

La partie méridionale du Rhin supérieur est hérissée de châteaux forts. La grande variété des paysages, de la Forêt-Noire à la plaine rhénane, mais aussi les diverses formes de pouvoir féodal dans cet espace expliquent que les forteresses soient de tout type. Parmi les châtelains, on trouvait non seulement des dynasties aussi puissantes que les Habsbourg et les margraves du pays de Bade, mais aussi les évêques de Strasbourg et de Bâle, ainsi que la petite noblesse constituée de chevaliers libres et de vassaux d’influentes familles nobles.

L’édification d’un château fort ne pouvait se faire sans l’autorisation expresse par le roi, mais dès le XIVe siècle, ce droit régalien fut de plus en plus souvent ignoré. C’est au cours du XIIIe siècle, période d’apogée, que fut érigée bien plus de la moitié de ces forteresses, que s’inscrit l’apogée de ce genre de constructions. Des études menées sur l’espace wurtembourgeois permettent de conclure de manière générale que les deux tiers des châteaux forts de la basse noblesse datent de cette époque. Le Moyen Âge tardif est davantage marqué par l’extension d’édifices déjà existants.

Les châteaux forts n’avaient pas de rapport direct avec la guerre

L’opinion largement répandue qui veut que les châteaux forts aient essentiellement eu une signification militaire est radicalement contredite par la réalité des faits. Leur fonction première était davantage liée aux affaires économiques et administratives qu’aux campagnes militaires. « Si l’on graduait de 1 % à 100 % la durée de vie d’un château fort défensif et résidentiel, de son édification jusqu’à sa disparition, la proportion des conflits armés serait dans presque tous les cas nettement inférieure à 1 %. » (1)

Sans doute le château fort avait-il était construit pour sécuriser et surveiller les alentours dont dépendaient l’approvisionnement et la vie de ses occupants, mais son rôle était purement défensif. Selon son emplacement, il servait aussi à surveiller les voies commerciales et les cours d’eau qui procuraient des recettes douanières au seigneur. Mais le château fort était avant tout un pôle économique, puisque c’étaient en effet les activités administratives et économiques qui assuraient durablement la survie et les ressources du seigneur. A ce titre, il convient de mentionner aussi bien la levée et le recouvrement des tailles et des taxes acquittées par les vassaux que l’organisation des corvées.

Mais le château fort était aussi un lieu de jurisprudence. Les compétences judiciaires du seigneur variaient sensiblement suivant sa position sociale et ses possessions. Dans sa majorité, la petite noblesse terrienne se contentait d’exploiter ses terres pour survenir à ses propres besoins, et parfois même elle écoulait les surplus et commerçait avec les cités qui s’accroissaient vers la fin du Moyen Âge. C’est d’ailleurs cette importance croissante qui, pour des raisons de commodité, amena de nombreux nobliaux à s’installer en ville au cours du XVe siècle.

Les châteaux forts du Moyen Âge tardif étaient tout sauf un lieu idyllique et serein ; la vie y était rude et bruyante. Généralement, ils n’abritaient qu’« une poignée d’habitants, une poignée de serviteurs, un petit nombre de chevaux et d’ânes, de chats, de chiens, de poules, de moutons, de chèvres et de cochons, tous parqués dans un espace très étriqué. » (2)

Au cours du XVe siècle, l’élevage prit une importance croissante pour la couverture des besoins des habitants du château fort. En raison du refroidissement climatique au XIVe siècle — qualifié de « petite glaciation » —, mais aussi des épidémies de peste noire survenues au milieu du XIVe siècle et du tremblement de terre dévastateur de 1356, les récoltes se réduisirent, et du même coup « les revenus que les châtelains tiraient essentiellement des impôts prélevés sur les produits agricoles des paysans ». Mais dans le même temps, « les dépenses nobiliaires consenties pour les armes, les équipements vestimentaires et les chevaux engloutissaient une part croissante de leurs revenus. » (3) : un train de vie dispendieux était la manifestation toujours plus ostensible du statut social.

Les équipements de base d’un château fort

En plus des étables, de petits ateliers artisanaux, généralement des boulangeries, des charcuteries ou des forges situées dans l’enceinte du château fort étaient censées en assurer l’autarcie. Un jardinet, dont s’occupait la châtelaine, se trouvait souvent dans un renfoncement de la cour intérieure. Quelles que fussent les dimensions du château fort, deux ouvrages en faisaient toujours partie : le puits et la chapelle. D’ordinaire, le puits avait une profondeur de 20 à 40 mètres, mais dans les châteaux forts haut perchés, il n’était pas rare qu’il s’enfonçât jusqu’à 100 mètres de profondeur.

La chapelle, ou oratoire, était un élément important de la vie courtoise. En effet, l’idéal chevaleresque comportait entre autres obligations le service religieux et la prière quotidienne. Les parois et les portes de la chapelle étaient toujours richement ornées. La chapelle pouvait dans certains cas être indépendante du château fort, ou même à l’extérieur, mais généralement elle jouxtait l’habitation, lorsqu’elle n’était pas intégrée à d’autres corps de bâtiments.

L'habitation du châtelain et sa famille

En son endroit le mieux protégé, chaque château fort comportait une grande habitation où séjournaient le châtelain et sa famille et où se déroulait l’essentiel de la vie sociale. Habiter un château fort était certes supportable pendant les saisons clémentes, mais en hiver le confort laissait fort à désirer.

Les murailles en pierre se refroidissaient et les vitres en verre laiteux ne laissaient pénétrer qu’une pâle lumière, quand elles n’étaient pas obturées par des tentures et des planches. Le poêle de faïence, qui n’apparut qu’au XIIe siècle, se trouvait toujours dans la plus grande pièce de l’habitation, la seule chauffée, où se concentrait la vie quotidienne. C’est là qu’on mangeait, qu’on travaillait, qu’on fêtait et qu’on dormait. Cette grande salle avait une fonction représentative. Souvent badigeonnée en blanc, elle était revêtue de tentures d’apparat. Du fait de l’étroitesse des lieux, toute pièce qui s’y prêtait était utilisée pour dormir, parfois même la cuisine.

La polyvalence des locaux conditionnait la fonctionnalité du mobilier. Les chaises, les tabourets ou les coussins étaient rares, on s’asseyait sur des bancs en bois et à des tables qui, souvent, n’étaient une grande planche posée sur des tréteaux. Les lits, lorsqu’ils existaient, et les malles servaient aussi à s’asseoir. Les armoires murales et les petits enfoncements étaient rares et réservés à des objets de valeur. De nombreux articles de l’aménagement étaient si précieux — essentiellement des tissus et de la vaisselle — qu’ils étaient expressément portés à l’inventaire en cas de cession ou de mise en gage d’un château fort.

La cuisine

Dans la vie quotidienne au Moyen Âge, la cuisine occupait une place importante due à la durée et à l’abondance des repas — trois ou quatre par jour — et au nombre de plats. Le porc et le bœuf maison comptaient parmi les viandes préférées, alors que le gibier, au contraire, ne prenait qu’une part étonnamment réduite dans l’alimentation.

La chasse, bien qu’étant un apanage de la noblesse, se pratiquait moins pour se nourrir que pour se divertir et pour limiter la prolifération des espèces nuisibles. Le vin, consommé aussi entre les repas, était la boisson favorite de la noblesse. Au Moyen Âge, il était croisé avec diverses herbes, absinthe, sauge et menthe par exemple. Dès cette époque, les vins du Brisgau, et plus encore de l’Alsace, étaient réputés au-delà des frontières.

Les loisirs

En dehors de leurs obligations quotidiennes, les châtelains s’adonnaient à de nombreuses activités de loisirs. En hiver, ils appréciaient beaucoup les cartes et les jeux de tablier. La marelle, le jeu de dames et le trictrac — notre backgammon — étaient déjà connus. Dans la noblesse, les échecs étaient le jeu de société par excellence. La danse, les billes, les dés et les dominos étaient pratiqués par les adultes, alors que les enfants s’amusaient au cerf-volant, au saut à la corde ou à la toupie fouettée.

Le déclin de la chevalerie

Au Moyen Âge central se développa une nouvelle forme de possession féodale qui devait marquer durablement la vie du château fort : à la suite du partage de leur héritage, plusieurs seigneurs vivaient souvent en communauté dans les châteaux forts dit de co héritage. Par souci d’économie, les futurs châtelains construisaient ou conquéraient ensemble des châteaux forts ou alors, poussés par le manque d’argent, ils partageaient leur bien avec d’autres seigneurs.

Pour faciliter leur vie en communauté, ils concluaient des trêves. De nombreux écrits relatifs à la trêve prouvent que, vers la fin du Moyen Âge, « un chevalier, un baron ou un comte était rarement l’unique propriétaire d’un château fort » (4). En conséquence, parmi les habitants du château fort, seuls les nobles pouvaient encore vivre des produits ou de leur part du château. Au Moyen Âge tardif, la majeure partie de la petite noblesse terrienne traversa une crise financière, ce qui est attesté par l’appauvrissement ou la déchéance sociale de nombreuses familles nobles et par la brève apparition des « chevaliers pillards ». Ces derniers transformèrent la diffidation, qui permettait de trancher les litiges, en un droit arbitraire. Ils s’en prenaient souvent aux villes, et notamment aux marchands et aux patriciens. Pourtant, quelques nobles seulement s’adonnèrent aux pillages. Ce fut un épisode de courte durée, auquel mirent fin les armées de mercenaires envoyées par les riches cités pour détruire les forteresses des chevaliers pillards.

Par Boris Bigott et Jochen W. Wagner

Notes:

(1) Malte BISCHOFF, Die Burg als repräsentativer Wohnsitz, in: Burgen in Mitteleuropa, Bd. 2, Stuttgart 1999, S. 52 (Le château fort, résidence représentative, dans : Châteaux forts en Europe centrale, 2e vol., Stuttgart 1999, p. 52)

(2) Joachim ZEUNE, Burgen – Symbole der Macht. Ein neues Bild der mittelalterlichen Burg, Regensburg 1996, S. 171. (Châteaux forts – Symboles du pouvoir. Une nouvelle image du château fort moyenâgeux, Regensburg 1996, p. 171)

(3) ANZELEWSKY (cf. note 2), p. 135

(4) Karl-Heinz SPIESS, Burgfrieden als Quellen für die politische und soziale Lage des spätmittelalterlichen Adels, im: EHMER (wie Anm.10), S. 186 (La trêve, facteur essentiel de la situation sociale et politique de la noblesse au Moyen Âge tardif, dans : EHMER (cf. note 10), p. 186)

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