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27 novembre 2014 4 27 /11 /novembre /2014 16:43

Mort de Serge Moscovici : hommage à un immense penseur de la psychologie sociale

Par Francisco Comiran / Laurent Bègue Psychologie sociale

Serge Moscovici est décédé le 15 novembre 2014 à l'âge de 89 ans.

Avant d'être le père de l'ancien ministre, désormais commissaire européen, Serge Moscovici était un historien des sciences et un psychologue spécialiste de la psychologie sociale.

Francisco Comiran doctorant en psychologie sociale, et Laurent Bègue, professeur de psychologie sociale à l'Université de Grenoble lui rendent hommage. Édité par Henri Rouillier Auteur parrainé par Rozenn Le Carboulec

Serge Moscovoci est décédé le 15 novembre 2014.

Serge Moscovici est aujourd’hui considéré comme le plus grand théoricien français de la psychologie sociale. Il a été le premier intellectuel à comprendre combien les nombreux changements sociétaux ayant marqué les années 70 pouvaient inspirer une psychologie des influences sociales.

Jusqu’à cette période, la psychologie envisageait les processus d’influence comme découlant d’une situation de pouvoir.

Les individus susceptibles d’influencer les autres devaient impérativement détenir le pouvoir du fait de leur statut ou de leur nombre.

Les fameuses études de Stanley Milgram sur la soumission à l’autorité et de Salomon Asch sur le conformisme sont des illustrations de cette perception unilatérale de l’influence.

Cette approche de l’influence permet d’expliquer le maintien de l’ordre établi dans une société, mais est incapable d’expliquer le changement social.

Comment, en effet, des mouvements comme celui des droits civiques aux États-Unis ou celui défendant les droits des femmes ont pu émerger et transformer la société en profondeur, alors que les membres de ces mouvements étaient minoritaires et dépourvus de pouvoir ?

Ce sont ces changements qui ont amené Serge Moscovici à remettre en question la prédominance de l’influence par les majorités, à travers une série d’études convaincantes qui ont montré le rôle important des minorités dans les processus d’influence.

L’effet bleu-vert

Dans une étude fondatrice de l’influence minoritaire, Moscovici et ses collaborateurs plaçaient les participants dans des groupes de six et leur demandaient de juger de la couleur de diapositives qui leur seraient présentées.

1. Les diapositives

Les groupes étaient composés de quatre participants "naïfs" et de deux compères (des complices de l’expérimentateur) qui avaient pour consigne de toujours répondre que la diapositive était de couleur verte.

Les diapositives présentées étaient, en réalité, toutes de couleur bleue (avec des variations au niveau de la luminosité).

L’expérience comportait 36 essais, et bien qu’au début, les participants maintenaient leur jugement en répondant que la diapositive était bleue, petit à petit, leur réponse évoluait vers celle, pourtant erronée, des compères.

Tandis que dans un groupe contrôle composé exclusivement de participants naïfs, le taux de réponse "verte" était quasi nul, les réponses "vertes" des participants exposés aux compères environnaient les 8%.

Ces résultats ont montré que les minorités peuvent avoir une influence manifeste et immédiate, exprimée publiquement, dans des tâches aussi objectives que les tâches de jugement perceptif.

2. Les disques

À la fin de cette tâche en groupe, les participants étaient conviés à participer individuellement à une autre étude dans laquelle ils devaient juger de la couleur de plusieurs disques.

Certains disques étaient bleus, d’autres verts, mais la plupart était de couleur ambiguë et ce qui intéressait les chercheurs était le pourcentage de disques perçus comme étant de couleur verte.

L’objectif était de voir si la perception des couleurs des individus ayant été influencés avait changé.

Les résultats ont montré que les participants exposés à une influence minoritaire percevaient significativement davantage les disques comme étant de couleur verte que les participants du groupe contrôle n’ayant pas subi d’influence.

Moscovici et ses collaborateurs ont plus tard mis en place une méthode plus subtile pour mesurer cette influence latente se basant sur le phénomène perceptif de rémanence visuelle, qui consiste à percevoir, après avoir fixé une couleur, la couleur complémentaire de celle-ci lorsqu’elle a été remplacé par un fond blanc.

Les résultats ont montré que les individus influencés vers le "vert" perçevaient plus souvent une couleur rouge (complémentaire au vert), une fois la diapositive bleue disparue.

Ces résultats, qui ont été très remarqués lors de leur publication, ont montré qu’il existe une influence latente des minorités entraînant une modification des schémas perceptifs.

Comment les minorités nous influencent

Ce paradigme a permis d’explorer un certain nombre de facteurs favorables à l’émergence de de normes nouvelles.

Dans le but de déterminer le comportement à adopter pour une minorité qui se veut influente, il a été demandé aux compères de ne pas répondre systématiquement "vert" mais d’alterner entre les deux réponses, d’être incohérents.

Dans ce cas, l’influence minoritaire s’évanouissait. Une minorité influente se doit donc d’être cohérente dans ses opinions et jugements, qu’elle doit exprimer invariablement. Moscovici a ensuite conduit une série d’études visant à comparer, dans le même paradigme expérimental, les effets de l’influence selon qu’elle provienne d’une minorité ou d’une majorité.

En faisant varier le nombre de compères répondant "vert" à la couleur de la diapositive, de façon à ce qu’ils soient tantôt majoritaires, tantôt minoritaires, il a montré que la majorité consistante provoque, certes, une plus grande adhésion publique et immédiate, mais qu’elle n’a, contrairement à la minorité, aucune influence sur la façon de percevoir les couleurs.

En demandant à ces compères d’être soit consistants soit inconsistants, Moscovici a ensuite démontré qu’une minorité consistante n’est guère moins influente qu’une majorité inconsistante au niveau manifeste.

Le style comportemental de la source d’influence est donc un critère essentiel qui peut permettre aux minorités de faire entendre leurs idées.

Courage et confiance

L’intuition et l’ingéniosité de Serge Moscovici ont ainsi donné lieu à tout un courant de recherche.

Plus tard, dans sa théorie de la conversion, Moscovici postulera que lorsque nous nous trouvons en désaccord avec un groupe, nous résolvons le conflit différemment selon que ce groupe soit majoritaire ou minoritaire.

Lorsque le groupe est majoritaire, nous avons parfois tendance à essayer d’éviter le conflit en rapprochant notre point de vue de celui de la majorité.

Ce faisant, nous nous conformons, mais sans nécessairement adhérer réellement à la position majoritaire.

Lorsque le groupe ou l’individu est minoritaire, nous n’avons généralement pas envie de nous en rapprocher, mais sa position peut susciter de la curiosité, car il crée un conflit et s’expose ainsi aux punitions de la majorité, détentrice du pouvoir. Il faut donc du courage et de la confiance en ses idées pour s’opposer à une majorité, ce qui nous incite parfois à analyser en profondeur les arguments et l’issue de cette analyse peut nous amener à la conversion.

Ce processus entraîne une modification plus profonde, plus ancrée des opinions et, parfois, l’émergence de normes nouvelles qui transforment la société.

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