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28 septembre 2016 3 28 /09 /septembre /2016 12:52

Le rapport sur les inégalités scolaires, « un message de désespérance jeté au visage des enseignants de ZEP »

LE MONDE | 27.09.2016 à 17h33

Propos recueillis par Mattea Battaglia

Marc Douaire est président de l’Observatoire des zones prioritaires (OZP), une association créée en 1990 pour favoriser les échanges sur l’éducation prioritaire, la lutte contre l’échec scolaire et l’exclusion. Il se dit « atterré » par les conclusions du rapport que le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) a dévoilé, mardi 27 septembre.

Lire aussi : Comment le système éducatif français aggrave les inégalités sociales

L’éducation prioritaire est mise en cause dans le rapport du Cnesco sur les inégalités du système scolaire français. Celui-ci la décrit comme un dispositif qui « ne marche pas », en énumérant ses « effets pervers ». Comment accueillez-vous ce rapport ?

Nous sommes atterrés. Ce rapport, s’il pointe des éléments que nous connaissons bien – des difficultés d’enseignement en ZEP notamment –, méconnaît complètement trois éléments. L’histoire de l’éducation prioritaire d’abord, nécessaire pour comprendre les discontinuités dans la répartition des moyens, dans leur suivi, leur évaluation.

Deuxième écueil, le refus de tenir compte de la concertation lancée à l’été 2012 par l’ancien ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon. Des points de consensus avaient alors émergé, en particulier le maintien de la labellisation de l’éducation prioritaire, mais avec une remise à plat de sa « carte », de ses dispositifs, de l’utilisation des moyens octroyés en plus pour faire évoluer la pédagogie. Troisièmement, le rapport semble ignorer qu’une refondation des ZEP a été amorcée en 2013 et mise en œuvre en 2014, pour faire évoluer les pratiques professionnelles, donner de la cohérence au travail en réseau [écoles, collèges], réinstaurer de la formation continue au bénéfice des enseignants – en particulier ceux des 350 réseaux REP +, où la difficulté est la plus aiguë…

Ce silence interroge.

Heures moindres consacrées à l’enseignement, stratégies peu efficaces, inexpérience… Les enseignants de ZEP ne sortent pas grandis du tableau qu’en livre le Cnesco.

Diffuser un tel message, à quelques mois de la présidentielle, n’est-ce pas politiquement risqué ?

Posons-nous les vraies questions : les inégalités scolaires, sociales et territoriales sont - elles de la seule responsabilité de l’école, des enseignants ?

Je ne crois pas. Le rapport n’invente rien. L’enquête PISA [qui tous les trois ans offre une photographie au sein de l’OCDE du niveau des élèves à 15 ans] a tout dit de notre système piloté par l’aval, la reproduction d’une élite, la voie « S », les prépas…

Est-ce de la responsabilité de l’éducation prioritaire ?

Non. Or sur ce terrain-là, le rapport est étrangement timide. Vouloir de façon aussi violente – et sans nuances – tordre le cou à l’éducation prioritaire renvoie nécessairement à la période actuelle : une période politique où, avec la primaire des Républicains, on se saisira obligatoirement de cette problématique. C’est une manne pour la droite. Un rapport en or pour les partisans de la liquidation de l’éducation prioritaire.

Le rapport est très violent pour les enseignants, mais aussi les élus, les collectivités, toutes les associations dont l’investissement est ignoré. « A quoi bon ? », leur lance-t-on…

C’est un message de désespérance qui leur est jeté au visage. Le Cnesco insiste sur le nombre d’élèves par classe, insuffisamment réduit dans les écoles et collèges de l’éducation prioritaire.

Qu’en pensez-vous ?

La réduction de la taille des classes n’est pas, en soi, un gage de réussite. Ce sont des moyens supplémentaires qui sont nécessaires pour modifier les pratiques, permettre la co-intervention d’enseignants dans une classe ou sur plusieurs niveaux (notamment sur le cycle 3 créé entre le CM1, le CM2 et la sixième). Une fois ces moyens octroyés au réseau – l’ensemble constitué par le collège et ses écoles de rattachement –, ce doit être au collectif professionnel de choisir comment les utiliser, à quel niveau, sur quelle pratique…

La réforme portée par Vincent Peillon et mise en œuvre par Najat Vallaud-Belkacem va-t-elle, selon vous, dans le bon sens ?

Dans les nouveaux réseaux d’éducation prioritaire, qu’est-ce qui vous semble changer le plus ?

Cette réforme a mis en place, dans le temps de service des enseignants affectés en REP + [le noyau dur de l’éducation prioritaire], un temps de concertation pour les professeurs de primaire et de collège. Réunions entre enseignants et avec les familles, rencontres avec les associations… Jusqu’à présent les enseignants faisaient cela sur leur temps personnel. C’est un virage.

Peut-on se passer d’un bilan de cette réforme ?

Un bilan ainsi qu’une révision de la cartographie des nouveaux réseaux sont prévus au bout de quatre ans. Ce bilan devra être partagé aux niveaux local, académique et national, et pas bricolé d’en haut, de manière technocratique. Vouloir le faire aujourd’hui est prématuré.

On sait que les effectifs croissants de l’éducation prioritaire (10 % des collégiens en 1982, 20 % en 2015), cette « dilution » pointée du doigt par le Cnesco, comptent parmi les écueils.

Comment y remédier ?

Peut-on dé labelliser un établissement sans lui donner le sentiment qu’il y perd au change ?

C’était un point de dissension lors de la concertation de l’été 2012. Pour l’Observatoire des zones prioritaires, la demande d’adhésion en ZEP est un symptôme des dysfonctionnements du système. L’inscription en éducation prioritaire ne doit concerner qu’un nombre limité de territoires. Il faut garder la labellisation pour le cœur du dispositif.

Quelles sont aujourd’hui les principales difficultés rencontrées en éducation prioritaire ?

Le principal défi est la permanence de l’action publique. Il faut que les équipes engagées soient encouragées dans leurs efforts, soutenues, confortées, formées. Que le pilotage à tous les niveaux soit amélioré, et pas seulement sur deux ou trois mois, le temps d’une conférence de presse. Dans l’histoire de l’éducation prioritaire, cela a rarement été le cas. On en fait encore l’expérience en cette fin de quinquennat.

Lire aussi : Plus de bacheliers, mais toujours autant d’inégalités

Mattea Battaglia Journaliste au Monde

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