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24 mai 2015 7 24 /05 /mai /2015 16:38

Le Moi-Peau, Didier ANZIEU, 1974

Le thème corps ouverts-corps fermés m’évoque en tout premier lieu ce livre. Didier ANZIEU est psychologue, sa première publication sur ce sujet date de 1974, suivie d’un premier essai complété d’apports ultérieurs. L’auteur s’appuie sur les théories de Mélanie Klein, Winnicott, évoque Dolto également. Le corps est au centre des travaux de ces trois auteurs. Klein par l’angoisse physique du nourrisson, Winnicott par la fonction de holding, Dolto, je ne sais plus mais elle était mariée à un kiné…

ANZIEU explique nombre de pathologies émergentes à son époque à l’aide de ce concept. Il porte son attention sur les modifications du psychisme des individus qu’implique l’évolution des moeurs de son époque. Les névroses décrites par Freud étaient également le produit d’une époque, celle d’une société puritaine dans laquelle la culpabilité jouait un rôle important. L’objet refoulé était donc nécessairement au centre des théories psychanalytiques. Or dans les années 70, les moeurs se libéralisent et les couples divorcent, modifiant profondément les structures familiales. La construction du psychisme des individus est modifiée et ce constat est à l’origine de l’intuition d’ANZIEU. Il parvient à donner une nouvelle explication des angoisses de morcellement, jusqu’alors classées dans la catégorie des psychoses. Il semble dire (je ne suis pas spécialiste), que la dichotomie névroses/psychoses, devient obsolète et que les états limites sont à l’origine de nombreuses pathologies actuelles. L’idée d’enveloppe psychique ou d’enveloppe narcissique est au centre du concept de moi-peau. L’individu (indivisé donc) se représente psychiquement comme unité sentante et pensante sans discontinuité. Les angoisses de morcellement ou les comportements anorexo-boulimiques trouveraient leur origine dans une représentation altérée de l’enveloppe psychique, du moi-peau.

En inventant il y a plus de trente ans la métaphore du Moi-peau, Didier Anzieu a instauré la question des limites au centre de la psychanalyse, sur la base d’une entité mixte psychique et corporelle, dont la clinique vérifie la puissance. Il a éprouvé cette notion dans des dispositifs exploratoires aux limites des pratiques centrales de la psychanalyse, et il n’a pu le faire que suffisamment assuré dans ses propres enveloppes psychiques, suffisamment travaillé par ses failles. A l’occasion du 20e anniversaire de la parution de son livre Le Moi-peau, cet ouvrage interroge et approfondit la pensée de Didier Anzieu, sur la créativité, le transfert et la méthode analytique : une mise à l’épreuve du Moi-peau dans la clinique psychanalytique actuelle.

Le résumé du livre:

1.Origine du Moi-Peau Anzieu va introduire le corps comme dimension vitale de la réalité humaine, comme ce sur quoi s’étayent les fonctions psychiques. Ainsi, le moi s’étaye sur un moi-corporel, le Moi-peau.

Le tout petit reçoit les gestes maternels tout d’abord comme excitation puis comme communication (“le massage devient un message”). C’est à travers les soins corporels et les communications préverbales précoces que l’enfant va commencer à différencier une surface comportant une face interne et une face externe, permettant la distinction entre le dedans et le dehors et un volume ambiant dans lequel il se sent baigné, surface et volume qui lui apportent l’expérience d’un contenant. Ce qui relie toutes les parties du corps est un tout unificateur, la peau = container théorisé par Bion.

2.Le concept et les fonctions du Moi-Peau Le Moi-Peau désigne une figuration dont le moi de l’enfant se sert au cours des phases précoces de son développement pour se représenter lui-même comme moi à partir de son expérience de la surface du corps. L’instauration du moi-peau répond à un besoin d’une enveloppe narcissique et assure à l’appareil psychique la certitude et la constance d’un bien être de base.

Le moi-peau trouve son étayage sur trois fonctions de la peau:

– c’est le sac qui retient à l’intérieur le bon et le plein de l’allaitement

– c’est la surface qui marque la limite avec le dehors et contient celui-ci à l’extérieur

– c’est un lieu et un moyen d’échange primaire avec autrui.

Le moi hérite de cette origine épidermique et proprioceptive la double possibilité d’établir des barrières et de filtrer les échanges.

Ce concept de Moi-Peau sera accueilli avec enthousiasme à cette époque, et il s’est avéré comme une des notions les plus fertiles en psychanalyse pendant plusieurs années après sa création.

Le Moi-peau, de Didier Anzieu Ouvrage riche, parfois complexe, important et souvent cité, mais aussi j'imagine souvent commenté, re-re-commenté, contesté, approfondi, comme pour tous les classiques qui seront résumés ici les commentaires sont encore plus bienvenus que d'habitude pour exprimer un désaccord, apporter une précision, mentionner quelque chose d'important que j'aurais oublié (bon, j'oublie toujours quelque chose d'important, et à la limite c'est tant mieux, un résumé n'est pas un livre, alors disons si j'oublie quelque chose de beaucoup trop important pour être oublié) ou, plus vital encore, rectifier un éventuel contresens.

Outil de perception s'étendant sur l'ensemble du corps, à la fois frontière et point de rencontre avec l'extérieur, élément constituant l'identité (l'"incarnation" d'un autre, par jeu par exemple, ne passe-t-elle pas par le déguisement, façon de revêtir sa peau?) mais aussi contenant, enveloppe qui permet de demeurer un tout, la peau a permis à Didier Anzieu d'enrichir sa (donc notre^^) compréhension du psychisme, de la conscience et de la thérapie. Neuf fonctions (liste non exhaustive que l'auteur invite à compléter) sont attribuées au Moi-peau.

Le Moi-peau sert d'appui, de soutien au psychisme, de même que la peau soutient le squelette et les muscles. Il est également contenant, enveloppe. Ces deux éléments se construisent lors des échanges précoces avec la mère, plus ou moins solidement selon la qualité des interactions. On peut y ajouter une fonction de protection, écho au pare-excitation freudien mais aussi protection, par exemple, contre l'angoisse d'intrusion psychique. Il permet aussi le sens de l'individualité, de la singularité. C'est également un outil pour se ressentir soi-même, ressentir l'intérieur de son corps, protection contre l'angoisse de morcellement, mais aussi une enveloppe d'excitation érogène. Une autre de ses fonctions consiste à équilibrer la tension énergétique, interne comme externe. Enfin (ou pas enfin, Didier Anzieu précise que l'ordre des fonctions n'a pas d'importance), le Moi-peau est un moyen de perception de l'extérieur et de communication avec celui-ci, et il éclaire sur les attaques contre les contenants psychiques, comparables dans leur fonctionnement aux maladies auto-immunes.

Comme son nom ne l'indique pas, le Moi-peau ne concerne pas seulement la peau elle-même, ni même le sens du toucher : en continuité avec la notion d'enveloppe, la notion de bain métaphorique (ou pas métaphorique du tout, comme cette patiente à qui il a été infligé des bains trop chauds -jusqu'à provoquer un malaise- dans son enfance, puis des douches froides pour l'endurcir dans son adolescence) recouvre, c'est le cas de le dire, ce concept. Est ainsi évoqué le bain sonore, le bain de paroles, mais aussi un malheureux bain olfactif : le transfert agressif d'un patient se manifestait par une transpiration parfois difficile à endurer pour l'odorat du thérapeute, mais cette transpiration a finalement été au centre de l'analyse, contribuant aux réussites successives de la thérapie. L'auteur ne doute pas d'interprétations possibles d'un Moi-peau visuel, mais invite le lecteur à approfondir le sujet.

Certains passages sont sujets à controverse. D'une part, sans surprise, il est question du packing (ici appelé pack), sujet encore aujourd'hui de violentes oppositions entre professionnels. Si l'auteur précise que l'administrer aux jeunes patients (psychotiques ou sourds-aveugles), c'est leur faire violence ("il y a d'abord une résistance à l'enveloppement : vouloir les immobiliser complètement suscite chez ces enfants une panique et une violence rares"), il paraît en être plutôt partisan ("le pack leur offre des "enveloppes de secours" structurantes, qui prennent la place, pour un temps, de leurs enveloppes pathologiques et grâce auxquelles ils peuvent abandonner une partie de leurs défenses par l'agitation motrice et sonore et se sentir uns et immobiles"), y compris, pour les adultes ("cela reconstitue passagèrement son Moi comme séparé des autres tout en étant en continuité avec eux"), à haute dose ("la cure complète, sur le modèle de la psychanalyse, peut prendre des années au rythme de trois enveloppements hebdomadaires"). Sur un autre sujet, à propos des enveloppes sonores, un autre passage peut faire drôle: "souvent, on le sait, une mère de schizophrène se reconnaît au malaise où sa voix plonge le praticien qu'elle est venue consulter : voix monocorde (mal rythmée), métallique (sans mélodie), rauque", "une telle voix perturbe la constitution du Soi : le bain sonore n'est plus enveloppant"... mères de schizophrène, vous voilà prévenues, si vous aviez parlé de façon plus dynamique à vos enfants, les choses se seraient passé autrement o_O

Les explications théoriques sont complétées par des explications de texte de Freud et Federn qui constituent une sorte de genèse de concept, et richement illustrées par des cas cliniques mais aussi des références mythologiques (Marsyas -je connaissais pô-, Peau d'Âne, ...) parfois très détaillées. Si ce qui m'avait orienté vers ce livre était au départ les troubles du comportement alimentaire (boulimiques qui mangent compulsivement jusqu'à être "pleines à craquer", parfois, tragiquement, au sens propre, anorexiques toujours insatisfaites de l'aspect visuel de leur corps, ...), la notion originale de Moi-peau enrichit considérablement (pas significativement, ça rappelle les devoirs de stats) la compréhension de l'inconscient en général.

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